Le 11 novembre, le Grand Conseil se penchera sur le projet de réforme du Cycle d’Orientation présenté par le DIP : « CO22 ». Cette réforme idéologique et dangereuse se fera au détriment de toutes et de tous, et plus particulièrement des élèves les plus fragiles.
Au nom de l’égalité, le DIP veut en effet éliminer les regroupements et propose des classes hétérogènes en 9ème et 10ème année. Voici pourquoi le parlement doit refuser la réforme CO22.
L’école primaire au Cycle d'Orientation (CO) mais sans l’organisation adéquate
Les enseignants de l’école primaire gèrent des classes mixtes et différencient leur enseignement. Nous pourrions donc considérer qu’il n’est pas difficile de répliquer cela au CO. Il existe néanmoins une différence majeure.
A l’école primaire, l’enseignant titulaire accueille un seul groupe d’élèves durant toutes les périodes de la semaine dans une seule classe (24 périodes pour le titulaire). L’enseignant titulaire porte la responsabilité du projet de chacun de ses élèves, soit une vingtaine d’enfants et propose un enseignement différencié dans une classe qu’il peut modeler à sa guise (cadre spatio-temporel : plus d’espaces dans la classe dédiés à des coins propices à la différenciation et une meilleure flexibilité pour l’organisation dans le temps didactique). Pour rappel, le DIP nous a confirmé que « la gestion de classe est reconnue comme l’un des aspects les plus difficiles du travail d’enseignant, et ce particulièrement face à une hétérogénéité des profils d’élèves. La recherche propose certaines stratégies d’intervention reconnues plus efficaces que d’autres. Ainsi, la gestion des ressources consistant à planifier, organiser et gérer le temps, l’espace et le matériel favorise l’établissement d’attentes claires, le développement de relations positives en classe, l’attention et l’engagement des élèves sur l’objet d’apprentissage et la prévention des problèmes de comportement. »
Avec la réforme CO22, le DIP souhaite que des enseignants qui ne sont pas formés à la différenciation, et ne le seront en tout cas pas à la rentrée 2022, différencient leur enseignement auprès de 80 à 120 élèves chaque semaine, alors qu’ils les voient pendant 4 à 5 périodes, dans des classes significativement plus petites, classes qui changent au minimum toutes les 2 périodes.
Les élèves recevront un enseignement fortement détérioré.
Une réforme théorique, inapplicable
Les objectifs du PER (Plan d’Étude Romand) sont différenciés pour chacun des 3 regroupements du Cycle d’Orientation. Dans la théorie du projet CO22, l’enseignement devra ainsi être dispensé en prenant en compte le niveau, la vitesse et les objectifs de chaque élève. Comme indiqué par le DIP dans la mise en place théorique de CO22, « un enseignant sera formé aussi bien à la question des différents niveaux d’enseignement à gérer dans sa classe (ce qui est commun à tous et ce qui est diffèrent) qu’à la question de l’évaluation (ce qui est attendu en commun et ce qui est diffèrent selon les deux niveaux, les corrections, les barèmes, etc.) ou encore à la question de la gestion de classe (travailler avec 2 groupes qui traitent parfois des contenus différents). »
Très concrètement, et à titre d’illustration, comment s’organisera l’enseignant de mathématiques lorsqu‘une notion est présente dans le PER en 9ème année pour une partie de la classe et en 10ème pour l’autre ? Que feront les enfants qui ne doivent pas aborder cette notion ?
Le DIP imagine-t-il qu’actuellement les élèves ont des heures de libre et qu’ils pourraient sans autre attendre que leurs camarades reçoivent l’enseignement de notions qu’ils ne doivent, eux, pas aborder cette année-là ? Comment l’enseignant gérera-t-il la classe et sa dynamique en s’adonnant à la gestion individuelle des différents niveaux pour chaque objectif du PER ? Comment l’enseignant choisira-t-il quels seront les élèves qui n’auront pas le soutien adéquat ?
A nouveau, nous allons vers un affaiblissement majeur de notre enseignement.
Une réforme idéologique et politique, au détriment de l’encadrement des plus faibles
Cette réforme est basée sur la constatation que les élèves les plus en difficulté réussissent mieux lorsqu’ils sont intégrés avec les effectifs les plus avancés. Elle suit donc en droite ligne la politique prônée par le DIP de mixité en faisant complétement fi de la constatation, pourtant présentée dans le rapport sur le nCO (réforme du nouveau Cycle d’Orientation introduite en 2011), que le succès des élèves en difficulté est massivement lié à l’attention et l’accompagnement individuel porté par leur encadrement.
Il n’a jamais été présenté de comparaison entre une classe de 12 élèves (moyenne de la rentrée 2021 pour le Regroupement 1 – R1) et ces mêmes élèves répartis dans des classes de 18 élèves avec des différences de niveaux majeures et des objectifs pédagogiques différenciés. Le DIP lui-même indiquait que « les élèves en difficulté sont plus dépendants notamment de la relation avec l’enseignant, comme le soulignent les études sur le décrochage scolaire ».
Cette réforme est politique et n’a pas pour objectif d’améliorer l’encadrement pour les plus faibles qui verront une augmentation de 50% des effectifs dans leur classe et donc une diminution du temps et de l’attention que pourront leur consacrer leurs enseignants.
CO22 promet une détérioration de l’encadrement pour les élèves les plus faibles.
Une réforme discutée depuis 60 ans, jamais adoptée… et déjà refusé par le peuple
Depuis la création du CO dans les années 60, des discussions ont cours sur l’hétérogénéité de la 9ème année (Chronique d’une réforme annoncée, Bain, Hexel, Rastoldo, SRED 2004). Au fil des ans, il a pourtant été systématiquement décidé de refuser d’implémenter ce concept.
Les deux derniers débats que nous pouvons mentionner sont les suivants :
- En 1997, le parti socialiste a déposé un PL pour une 9ème année hétérogène (7ème à l’époque). Un référendum a suivi l’adoption de cette loi au parlement. Le projet porté par le parti socialiste a été rejeté par le peuple en 2001.
- Trois établissements (Budé, Coudriers et Bois-Caran) ont testé la 9ème année hétérogène pendant de nombreuses années. Lors de l’introduction du nCO, projet porté par le DIP, ces projets pilotes ont tous été abandonnés. Dix ans plus tard, le DIP souhaite généraliser la pratique…
Les classes hétérogènes ont été systématiquement recalées. Pourquoi le DIP revient-il avec un projet du passé et désire implémenter de manière générale des projets pilotes interrompus ? Pourquoi souhaite-t-il revenir sur la décision de la population ? Pourquoi introduire aujourd’hui un concept qui n’a jamais trouvé preneur ?
Pour être consistant, nous devrions au moins avoir le courage de poser la question à la population.
Une réforme qui laissera les élèves les moins impliqués sur le bord du chemin
La réforme se base sur le postulat que les élèves en grande difficulté rentreront mieux dans le cadre s’ils peuvent s’inspirer des élèves ayant plus de facilité. Elle ne remet jamais en question la cadre ni la nature même de l’enseignement pour ces jeunes en difficulté.
Modifier l’organisation du CO sans se poser la question de la stratégie pédagogique de manière globale ne fera que reproduire des résultats identiques. Le DIP indiquait d’ailleurs très ironiquement qu’« il y a une relation faible entre structures scolaires et performances scolaires ».
Nous devons nous poser les questions suivantes : Quels sont les éléments qui permettront aux jeunes les plus fragiles de devenir des adultes autonomes ? Est-il adéquat de poursuivre une formation avec un enseignement frontal pour ces élèves ?
Et plus généralement : Quels sont les besoins et les mécanismes de développement des jeunes adolescents ? Si la situation est si grave, pourquoi ne pas remettre en question la nature de l’enseignement au Cycle, et les objectifs du PER qui ne sont de toute façon pas adaptés aux élèves en difficulté puisque seuls 2.4% les atteignent ?
Cette réforme affaiblit notre système.
Une réforme basée sur un projet de référence visiblement incompris
Le DIP a mainte fois présenté la dernière réforme du CO du canton de Neuchâtel comme un exemple de différenciation. Il est piquant de constater qu’à Neuchâtel, la différenciation est effectuée en séparant physiquement les classes par niveau pour les branches de base et les langues. Les élèves sont donc dans des classes séparées. Les enseignants ont été formés à la prise en charge différenciée au sein des regroupements, et cela ne s’est pas fait en quelques mois.
A la question de savoir si une hétérogénéité complète des classes, avec différenciation pour toutes les matières des branches principales ainsi que les langues serait adéquate, le canton de Neuchâtel « répond par la négative, car la réforme est encore en cours de stabilisation. 6 ans d’expérience laissent entrevoir une stabilisation, mais il y a encore des éléments à améliorer. »
Genève mentionne Neuchâtel comme exemple mais dans la pratique, le DIP propose un changement dramatiquement plus important et dès la rentrée 2022. Après 6 ans, Neuchâtel estime ne pas avoir sa réforme stabilisée alors qu’elle est bien moindre que CO22.
CO22 va créer le chaos dans les cycles d’orientation à la rentrée 2022.
Une réforme au détriment des élèves… et des enseignants
Comme indiqué précédemment, les enseignants vont devoir modifier leurs gestes métier. Le DIP indique que : « CO22 est une sorte de mélange entre un modèle d’intégration individualisé et un modèle d’intégration avec des regroupements souples. Cela implique de lier la réforme avec des aspects pédagogiques, changement de la profession enseignante ».
Il indique également qu’« en contexte mixte, le défi consiste à proposer des activités d’enseignement-apprentissage qui tiennent compte des besoins, des aptitudes et des caractéristiques des élèves, de manière à garantir la participation sociale et l’apprentissage optimal de tous. A ces fins, certains dispositifs internalisés au sein de la classe peuvent être mis en place afin de faciliter des apprentissages différenciés, comme des plans de travail, des groupes de besoins, des apprentissages coopératifs ou encore un système de tutorat. »
Pensons-nous que les enseignants soient en mesure de transformer leurs gestes métiers dès la rentrée 2022, soit : identifier pour chaque jeune leur niveau de connaissance et leur vitesse d’apprentissage, et adapter pour chacun d’entre eux un enseignement différencié, suivi d’évaluations également différenciées (et même expressément différentes) ? Seront-ils en mesure de gérer l’hétérogénéité au profit, comme l’appelle cette réforme, de la mixité ? En matière de gestion de classe, comment feront-ils face à cette mixité et les dynamiques que celle-ci va engendrer ? Les élèves fragiles, en difficulté scolaires et souvent sociales pour lesquels cette réforme est proposée bénéficieront-ils du soutien pédagogique et affectif dont ils ont besoin ?
Pour rappel, l’institution n’offre actuellement qu’un seul outil de différenciation: la salle de différenciation pédagogique (salle de retenue). Cette pratique (d’exclusion) est largement utilisée dans tous les regroupements.
Comment pouvons-nous nous assurer que les élèves les plus perturbateurs, ou tout du moins ceux qui seront le moins enclin à assimiler les apprentissages présentés par l’enseignant, ne se retrouvent pas systématiquement exclus en salle de différenciation, seul moyen offert aux enseignants pour maintenir le calme dans les classes ?
Pour accomplir leur travail, les enseignants doivent être en mesure de mobiliser l’attention et la motivation des jeunes. Si les dynamiques de classe se péjorent, personne, ni les enseignants, ni les élèves ne bénéficieront du système.
Nous allons ainsi demander aux enseignants de littéralement faire un grand écart, sans entraînement, en leur ayant montré dans un livre comment font les gymnastes.
La minorité du parlement se demande combien les enseignants payeront pour les pots cassés lorsque nous réaliserons que cela ne fonctionne pas comme imaginé.
Une réforme qui recherche l’hétérogénéité… avec une filière rapide
La formation accélérée en deux ans va à l’encontre du principe d’hétérogénéité. Elle permettrait en effet aux élèves ayant le plus de facilité de sortir du groupe. Nous avons d’ailleurs un doute quant à sa praticité. Les élèves ayant le plus de facilité arrivent pour la plupart au CO avec déjà une année d’avance.
Au-delà de la cohérence avec CO22, combien de jeunes, leurs parents et leur encadrement souhaiteront avoir deux ans de décalage avec leur classe ?
Une réforme pour guider tous les élèves vers des études universitaires… au détriment des filières professionnelles
Le principe d’un regroupement unique est une brique de plus à l’édifice, construit années après années, qui promeut les études universitaires au détriment de l’apprentissage et des filières professionnelles. La valorisation de ces filières naît également de la création d’une identité forte et de leurs promotions. Les pays anglo-saxons peuvent être un exemple pour la création de ces identités de groupe dont nous pourrions nous inspirer.
Le DIP pose comme raison de cette réforme le trop grand nombre de redirections forcées de filières gymnasiales vers les filières préprofessionnelles. Mais pourquoi est-ce un problème lors qu’un tiers des élèves entreprenants le collège ne le finissent pas ?
Noyer les élèves de ces filières dans une majorité d’élèves qui entament le collège ne va pas aider leur orientation.
Une réforme forcée, encore en plein chantier
Le projet de loi a été étudié entre mai et octobre 2021. Il a été adopté par une courte majorité en commission le 15 septembre 2021. Le 13 octobre 2021, soit un mois après le vote, le DIP a présenté un complément d’information. Celui-ci nous indiquait un changement dans les branches qui seraient abordées en différenciation en 9ème année. Le DIP a en effet réalisé que les objectifs du PER (Plan d’Études Romand) seraient plus facilement atteignables en classes hétérogènes différenciées en mathématique et en allemand plutôt qu’en français ! 10 mois avant la rentrée…
Comment le DIP peut-il prétendre à une réforme de fond lorsqu’il cuisine aussi légèrement en dernière minute sur des modalités fondamentales ?
Ce changement est emblématique du manque de préparation d’une réforme majeure du Cycle. Il est temps de poser la balle à terre pour proposer un projet abouti qui aborde sans concession les objectifs et les défis de cette période difficile pour de nombreux jeunes. Il sera temps, ensuite, de préparer une implémentation, tester sa mise en œuvre dans un établissement ou même peut-être deux avant d’évaluer ses résultats et de décider s’il apporte une réelle plus-value.
La formation de nos jeunes est en jeu, quel que soit leur niveau.
Que faire ?
Ce projet, même s’il est plein de bonnes intentions, est en fait un projet hautement politique, électoraliste et dangereux ! N’oublions pas qu’un des objectifs, non développé dans ce rapport, est de « simplifier l’organisation des classes et la logistique actuelle », couteuse en temps pour le département qui doit jongler avec des effectifs complexes. Cette simplification leur serait certainement bénéfique, mais elle ne doit pas se faire au détriment des élèves.
Nous devons plutôt questionner les fondements du CO pour les élèves qui en sont exclus.
- Quels devraient être les objectifs ? Comment permettre aux élèves en difficulté de devenir autonomes et de trouver une place, non seulement au CO, mais dans toute la suite de leur parcours ?
- Est-il adéquat de pousser tout le monde dans les regroupements structurés par le PER ? Que faisons-nous pour aider les enseignants dans leurs tâches ?
- Quelle doit être la formation des enseignants ? Comment mieux les équiper ? Ceux-ci doivent-ils avoir le même profil pour tous les regroupements et pour toutes les branches ?
- Peut-on considérer des enseignants avec des profils orientés plus généralistes ou éducateurs pour certains jeunes
- Quid des objectifs d’apprentissages ? Sont-ils réellement tous fondamentaux pour permettre aux jeunes de devenir indépendants dans notre société, sachant qu’ils ne sont de toute façon pas acquis ?
- Quelles sont les spécificités de l’adolescence ? Quel projet pédagogique permettrait aux enfants de se développer dans la création de leur identité et dans leur autonomisation en vue de l’entrée dans l’âge adulte ?
- La transmission de savoir verticale est-elle adaptée ? Nécessaire ? En particulier pour les élèves les plus en difficulté dans notre système, est-il opportun d’essayer de continuer à les forcer à entrer dans le moule d’un système inadapté ?
Les inégalités ne disparaîtront pas comme par enchantement en mélangeant tous les élèves.
Ne réformons pas le CO en risquant le chaos dans 10 mois et menons plutôt une réflexion large sur les attentes envers cette institution!